Pavé César, nous sommes les légionnaires du Wokistan ! Fuis ou tes yeux bruleront. Je relance un truc sur le bateau de Thésée, dont nous avions déjà parlé ensemble pour certains. Peut-on faire un lien avec l'identité ?
L’expérience du bateau de Thésée : Thésée était un des rois mythiques d’Athènes. Chaque année, les athéniens sortent son bateau ancestral pour un tour en mer, en hommage à son célèbre défunt propriétaire. L’usure de l’eau et du temps n’ont pas laissé le vaisseau intact. Régulièrement des charpentiers doivent remplacer une planche pourrie ou un morceau de coque fendu. Si bien que au bout d’un certain nombre d’années, pas une seule partie du bateau d’origine ne fait partie du vaisseau qui part en mer à chaque anniversaire. Alors… s’agit-il du même bateau ? Si la réponse est non, si il ne s’agit plus du même bateau alors à partir de quand a-t-il cessé d’être le bateau de Thésée ? Après le premier changement de planche ? Le cinquième ? Le dernier ? Après la mort de Thésée ?
Thomas Hobbes, quelques siècles plus tard a proposé une variante de cette expérience de pensée. Admettons que, a chaque fois qu’on remplace une pièce du bateau, celle-ci est mise de coté. Un à un, les morceaux abîmés du bateau sont stockés… jusqu’à pouvoir reconstruire à l’identique un second vaisseau, constitué de tous les pièces d’origine. Imaginons maintenant que ce bateau usé soit présenté à coté de l’autre, dont les pièces ont été remplacé. Lequel est le bateau de Thésée ? Celui qui présente une continuité physique, matérielle avec les pièces d’origine ou bien celui qui a une continuité symbolique, qui n’a jamais cessé d’être, dans l’imaginaire le bateau de Thésée ?
La meilleure réponse au problème de Hobbes peut se résumer à deux principes, qui ne peuvent être vrais tous les deux. Le principe A : « Les objets peuvent survivre au changement et garder leur identité d’origine ». Le premier bateau, malgré les remplacements successifs, conserve une continuité d’identité. A l’inverse le principe B nous dit « qu’un objet EST défini par ses matériaux, ses morceaux si vous préférez et qu’il EST là où ou les objets qui le composent sont ».
Pourtant cette réponse n’est pas satisfaisante. Qu’en est-il de la perception, des sens ? Une part importante de la définition des choses qui nous entourent vient, précisément de ceux qui les perçoivent, les classent, les rangent et tentent de les comprendre. On ne peut pas s’affranchir du rôle de la dimension perceptive dans la compréhension de ce qui nous entoure. Imaginons qu’un aveugle a mis ses mains sur une des planches du bateau. Autour de lui, sans qu’il s’en rende compte, des charpentiers changent l’intégralité des autres pièces du bateau. Pour la plupart des gens, ce n’est plus le bateau de Thésée. Il a changé, trop et trop vite. Mais pour notre aveugle c’est exactement le même. De son point de vue perceptif a lui, rien n’a changé, il touche toujours le bateau, dans une continuité perceptive totale. Par conséquent, la perception a un rôle majeur dans l’identification.
Qu’en est-il de la mémoire ? Du savoir ? De leur rôle dans l’identification ? Si vous ne connaissez pas le bateau de Thésée et que vous le rencontrez en vous baladant au port, pour vous ce n’est qu’un vieux bateau en bois. Identifier quelque chose ou quelqu’un découle de notre savoir. Ce savoir, lui, découle lui-même de notre mémoire. Vous n’appelleriez pas un chat un chat si vous n’en aviez jamais rencontré ni jamais vu la moindre représentation. Vous ne penseriez même pas au mot « chat ».
Les règles avec lesquelles nous identifions les objets et les personnes qui nous entourent sont arbitraires mais fixées par une convention. Prenons un sujet d’actualité. Pourquoi existe-t-il des résistances vis à vis des mouvements LGBTIQ+ ? L’identification de genre, se fait à travers un certain nombre de marqueurs de genre (aujourd’hui remis en cause). Les premiers sont sociologiques. Pendant longtemps une femme se reconnaissait (je dis pas se définissait) souvent à ses cheveux longs, ses seins, ses bijoux, son maquillage, sa manière de s’habiller, son comportement social (je grossis les traits). Des marqueurs subjectifs, reflets de la norme à une époque donnée. A ces critères ils associent un critère biologique, les parties génitales ou éventuellement les chromosomes. Mais on aurait tout aussi bien pu choisir la possibilité d’enfanter comme critère-roi, le taux de testostérone, le pourcentage de masse graisseuse... la vitesse de pousse des poils du nez presque. Et ces critères auraient eu leur lots de faiblesses. Toutes les femmes peuvent pas avoir d'enfants, beaucoup d'aléas existent dans les taux hormonaux, la graisse varie en fonction de plusieurs autres critères. Les chromosomes, eux, dépeignent une réalité invisible à l'oeil nu, loin du quotidien sensitif des gens.
Au final, ces critères sont critiqués parce qu’ils ne sont pas le reflet de l’expérience vécue par les individus (subjective par ESSENCE). Ils génèrent des souffrances. Alors le mieux qu’on puisse faire c'est pas de laisser les individus eux-mêmes se définir ? ATTENTION, JE REALISE BIEN LE DANGER DE SCULPTER LA "REALITE", MÊME SI ELLE EST PARTIELLEMENT SUBJECTIVE. Je parle ici uniquement de l'identité des gens et m'oppose totalement à une relecture de l'histoire selon les filtres socio-politiques du présent sinon ça vire vite au cauchemar.
Que la reconnaissance d'une nouvelle identité demandée par ces individus change le paradigme dominant est-ce vraiment grave ? Je souhaite pour moi, minimiser mes souffrances, maximiser mes plaisirs, et limiter ce que je peux faire aux autres (et réciproquement), le tout avec un seuil minimum (parce que, bon, l'utilitarisme ça peut vite dériver au butage de minorité pour le bien être général). Dans cette logique là, les gens peuvent bien se définir comme ils veulent non ? Soit vous faites l'effort terminologique, soit vous côtoyez pas la personne. Dans un livre d'histoire ou un récit historique, vous introduisez pas de personnes LGBTIQ+ avant (insert right date). Cette remise en question de la norme, de la manière de catégoriser le réel, ne nous semble pas entendable mais il a bien fallu créer les catégories à un moment non ? Où est la frontière entre grand et petit ? Où est la frontière entre valide et handicapé ? La séparation entre peuples esclaves et libres a été défendue scientifiquement pendant des siècles avant qu'on reconnaissance le caractère oppressant et à chier du concept.
Noam Chomsky s’est également intéressé au mythe de Thésée. Pour lui, le bateau est ce qu’il appelle un « objet organisationnel ». Quand Thésée imagine son bateau mentalement, il y voit chaque partie (les voiles, le mat, le gouvernail, la coque etc), il voit comment ses parties interagissent entre elles, et comment elles interagissent avec le monde extérieur (comme la mer ou les marins). Pour Chomsky toujours, chaque élément qui compose le bateau de Thésée est lui-aussi un objet organisationnel. Le gouvernail est un ensemble de morceaux de bois, emboités les uns dans les autres, parfois avec de la corde et une pièce centrale métallique. Et ainsi on peut décomposer tous les objets jusqu’à son origine, ici, le bois de l’arbre pas encore coupé. Mais ne peut-on pas faire la même chose pour les êtres humains ? N'êtes vous pas, ici, à la fois, fils, frère, père, étudiant ou travailleur, homme, jeune etc ? Ces éléments ne peuvent-ils pas être eux-memes décomposées ? N’êtes vous pas un travailleur agréable, avec l’esprit d’équipe ou solitaire qui manque d’empathie ? Et ainsi de suite pour tous les objets organisationnels qui nous composent.
Des phrases comme « t’as pas changé mec ». Ou à l’inverse « T’as tellement changé, t’es devenu quelqu’un d’autre » me semblent liées. Vous les avez peut-être pensé vous-mêmes à un moment ? Parfois en appréciant le changement chez l'autre, parfois, au contraire en ressentant cet étrange malaise face à une personne étrangère à vos souvenirs. Ne pourrait-on pas l’expliquer par la théorie de Chomsky ? Si je prends Darkent ici présent. Je la connais comme un ancien étudiant de socio et d'économie, un homme, noir, grand, passionné de politique, de gastronomie, pointu en cocktail, de droite, habitant Versailles, désagréable en ligne parce souvent arrogant. Je ne la connais pas comme le fils de ses parents, comme un sportif ou comme un confident. Si les parties de lui qui changent sont celles auxquelles je ne suis pas confronté, alors cette transformation est invisible pour moi et Darkent peut ressentir une gêne face à mon incapacité à comprendre combien il a changé. Et si les seules choses qui changent sont celles qui composaient notre lien, je peux m'exciter alors que il est globalement resté le même.
On peut concevoir l’identité de plusieurs manières et nos outils d'observations ne sont pas si objectifs, souvent, on a défini ce qui était objectif (cf dilemne du continuum entre valide et handicapé). Le choix des outils est un combat permanent. Faut-il étudier la richesse d'un pays à travers le taux de chômage ou le nombre de personnes vivants sous le seuil de pauvreté ? Comment définit-on le seuil ? Que compte-t-on dans chômage ? Comment calcule-t-on la puissance d'une armée ? L'élaboration de protocoles pour poser une "vérité" est très complexe et contesté. Il n'y a qu'à voir la régulation des pesticides et leur méthodes d'utilisation ou les perturbateurs endocriniens qui brisent toutes nos connaissance de ce que croyait être la forme d'une courbe de toxicité.
Une définition par les gênes ?
Un construit social, en permanent renouvellement, qui repose sur la matière, la perception et la mémoire (ce qui implique alors les autres) ?
Ce n’est pas parce que nos cellules se renouvellent que nous ne sommes plus nous mêmes. Ce n’est pas parce que nous agissons différemment que par le passé que nous sommes quelqu’un d’autre.
« Aucun homme ne traverse la même rivière deux fois, car ce n’est ni le même homme, ni la même rivière ».
Bref je me suis auto-soulé. Le pire a été de me relire.
|